Une interview d’Anja Cizel qui est ethnographe, chorégraphe et passionnée par les danses traditionnelles slovènes. Elle nous présente l’incroyable diversité des danses slovènes, un entretien passionnant qui va prendre à contre-pied la vision ennuyeuse que vous aviez peut-être de la musique traditionnelle slovène.
Une belle vidéo à voir pour voir à quoi ça ressemble
Quelle est la relation entre les slovènes et la danse ?
La Slovénie est un pays où tous les habitants savent danser. Au minimum, ils connaissent quelques pas de danse.
Nous apprenons à danser à l’école, en famille…
Ici, les occasions de danser sont nombreuses : lors des fêtes de village (veselica), des mariages, des réunions de famille, dans des discothèques qui passent de la musique traditionnelle populaire (Franci na balanci à Ljubljana par exemple)
Quelle est la particularité des danses traditionnelles slovènes ?
Malgré la taille minuscule du territoire slovène, les danses slovènes sont d’une diversité incroyable : la musique varie, les tenues varient, les types de danses varient : en couple, en groupe… Au cours des siècles derniers, les slovènes dansaient la Valse et la Polka waltz mais ils dansaient aussi de nombreuses autres danses comme la lender, la sotiš, la mazurka, la štajeriš, la čardaš, la zibenšrit…
Tous les costumes ci-dessus sont slovènes. Pour vous faire une idée de l’incroyable diversité de la musique traditionnelle slovène, écoutez rapidement les cinq morceaux qui suivent.
Comment expliquez-vous cette incroyable diversité des danses slovènes ?
J’y vois trois raisons : la place importante de la danse dans la vie des villageois au cours des siècles derniers, le caractère montagneux du territoire slovène et les influences des quatre pays voisins (l’Italie, l’Autriche, la Croatie et la Hongrie).
Commençons par la première raison : Les slovènes dansaient lors de presque tous les moments importants de la vie et de l’année. La danse faisait aussi partie de leur quotidien. Ils dansaient après le travail, lors des mariages, lors des veselica (fêtes de village)… Selon certains chercheurs, ils dansaient aussi pour que le ciel leur apporte de bonnes récoltes. Les slovènes dansaient donc souvent et les habitants de chaque village finissaient par créer des variations des danses existantes, cela débouchait sur de nouvelles danses et c’est l’une de raisons de leur extraordinaire richesse aujourd’hui.
La danse et la musique sont comme les langues. Elles sont vivantes. Elles évoluent avec le temps et l’espace.
La seconde raison de cette grande variété est le caractère montagneux du relief slovène. D’une vallée à l’autre, les danses sont différentes. Ce phénomène est bien connu : les vallées limitent les échanges et favorisent le développement de cultures et d’habitudes endémiques (En Slovénie, ce sont les danses de Rezija, Rož, Ziljska dolina, Bela Krajina…)
La troisième raison qui explique cette grande diversité est la suivante : la Slovénie est à un croisement de cultures comme il n’en existe nulle part ailleurs en Europe. La Slovénie a quatre voisins : l’Italie, l’Autriche, la Croatie et la Hongrie.
La Slovénie se trouve à un croisement de trois influences très différentes : celle des Alpes, celle de la Méditerranée, et de la plaine Pannonienne.
Les danses de Prekmurje, une région située au Nord-est de la Slovénie ont été influencées par les danses Hongroises, celles de Bela Kranja au Sud par les danses croates, etc. On retrouve ces influences extérieures dans toutes les régions limitrophes. Ces échanges ont participé à l’incroyable variété des danses slovènes et aujourd’hui, si on compare le nombre de danses différentes à la taille du pays, cette diversité slovène est stupéfiante. Lorsque nous participons à des rencontres internationales de danses folkloriques, les autres danseurs ne savent en général pas où est la Slovénie au début de l’événement mais après une semaine de représentations, ils connaissent tous la Slovénie. Ils sont toujours épatés par la diversité de nos danses et de nos costumes.
Les pays limitrophes sont-ils les seuls à avoir influencé les danses folkloriques slovènes ?
Ces influences pouvaient aussi venir de bien plus loin. En raison des invasions Turcs entre le 15ème et le 17ème siècle, des habitants ont par exemple fuit la Serbie et ils se sont venus s’installer au sud de la Slovénie, dans des villages de Bela kranja. Dans leurs bagages, ils ont apporté des danses traditionnelles serbes et elles sont venues se mélanger avec les danses slovènes qui existaient déjà, créant de facto de nouvelles danses.
Avec la modernité, les danses slovènes traditionnelles se perdent-elles ?
Non grâce aux nombreuses recherches menées sur le terrain Avec l’aide d’autres chercheurs, un des plus célèbres ethnochoréologistes, Mirko Ramovš a recensé les différentes danses slovènes et les a compilés dans pas moins de sept livres.
Aujourd’hui, sur le terrain, en questionnant les anciens d’un village, on découvre encore de nouvelles variations de danses connues.
Il y avait beaucoup de variations car chaque village finissait par développer son propre style. Beaucoup de ces variations ne sont pas encore découvertes, c’est à la fois excitant et passionnant.
Les danses traditionnelles slovènes servaient t’elles pour se rencontrer ?
Les slovènes dansaient pour le plaisir de danser ensemble, pour se réunir, pour écouter de la musique, pour discuter… Les danses étaient aussi un moment important pour trouver un partenaire. En fait, c’était presque le seul moment où les garçons et les filles pouvaient avoir un vrai contact. Au cours des siècles derniers, ils ne pouvaient pas avoir d’aventures amoureuses quand ils voulaient comme on peut le faire aujourd’hui. Lors de mes recherches sur le terrain, de vieilles dames m’ont dit en riant que les garçons qui étaient de bons danseurs leur semblaient bien plus intéressants que ceux qui ne savaient pas danser.
Il semble que ces bons danseurs avaient clairement plus de choix pour leur partenaire.
Dans certaines danses slovènes, il y avait de petites compétitions internes amusantes qui permettaient aux danseurs de faire-valoir leur talent.
La musique traditionnelle slovène est souvent réduite à un seul type de musique, qui ressemble au style autrichien, comment l’expliquer ?
C’est un vrai problème en Slovénie. De nombreux slovènes connaissent mal leurs racines. Ils ne connaissent presque rien de la musique et des danses traditionnelles slovènes. Ils confondent donc nos traditions avec la musique folk-pop qu’ils entendent. Elle est très similaire à la musique autrichienne. On peut entendre ce que l’on appelle du Turbo-folk dans les bars et les restaurants des pistes de ski autrichiennes et allemandes et beaucoup de gens trouvent que ça ressemble à ce qu’ils croient être notre musique traditionnelle. Il y a une grande confusion à ce sujet. Je vais essayer d’expliquer d’où elle vient.
La musique traditionnelle slovène n’est pas le « flonflon autrichien »
Bien évidemment, en raison de sa proximité géographique, les traditions slovènes rappellent parfois les traditions autrichiennes. Une partie des traditions slovènes a été influencées par celles des Alpes. La musique folklorique populaire s’est développée à la fin du XIXème siècle et est devenue rapidement très populaire avec la révolution apportée par l’accordéon. Mentionnons ici les deux musiciens slovènes très populaires : Avsenik et Slak. (Pour voir à quoi ça ressemble, lancez le « tube » Na Goloci de Avsenik et continuez la lecture)
A leurs débuts, Slak and Avsenik ont utilisé des chansons traditionnelles slovènes et les ont reproduit avec des accordéons au cours des fêtes. Ils ont eu beaucoup de succès ainsi ! L’essor de cette musique traditionnelle populaire s’est accompagné de l’essor d’une façon particulière de s’habiller pour les musiciens. Ils ont choisi de porter une tenue de Gorenjska portée à la fin du 19eme siècle car elle était un signe distinctif de richesse dans cette région. Elles étaient très similaires aux tenues autrichiennes portées à l’époque.
Cette tenue qui était assez anecdotique en Slovénie s’est rapidement répandue partout dans le pays.
Un peu plus tard, beaucoup de slovènes se sont alors mis à penser que la musique traditionnelle slovène, c’était ça et que la tenue traditionnelle était celle-là, c’est faux ! Cette tenue qu’aujourd’hui encore on voit partout n’est qu’une infime partie de notre patrimoine. Cette erreur est toujours très répandue aujourd’hui en Slovénie. La plupart des slovènes ont une vision erronée de leur patrimoine en pensant que ce sous-genre est leur musique traditionnelle.
Quelle est la relation des jeunes slovènes avec la danse traditionnelle?
L’erreur sur notre patrimoine que j’ai expliquée est très répandue en Slovénie chez les jeunes slovènes. Ils pensent aussi que la musique traditionnelle est une activité pour les vieux, que les vieux se retrouvent pour danser sur ces chansons accompagnés d’un accordéon… Bien heureusement, de nombreux autres connaissent la richesse de notre patrimoine. Ils sont nombreux à danser dans des groupes folkloriques.
On dénombre plus de 500 groupes folkloriques en Slovénie avec souvent trois sections : enfants, jeunes et seniors.
Dans les grandes villes, pour faire partie des meilleurs groupes de danses folkloriques, il faut passer des sélections. Enseigner, créer les chorégraphies, danser, faire des recherches sur le terrain, préparer des concerts… Les participants font tout gratuitement, par passion, pour le plaisir de danser ensemble et aussi pour maintenir notre patrimoine vivant.
Les danses traditionnelles évoluent-elles ?
Oui, ce patrimoine reste vivant. Dans les siècles précédents, les slovènes ont fait évoluer les danses et cela doit continuer aujourd’hui. Il faut garder des traces précises des danses comme le font les instituts mais il ne faut surtout pas les figer dans le temps. Aujourd’hui, de jeunes chorégraphes élaborent de nouvelles danses et de nouvelles chorégraphies à partir des danses traditionnelles. Je le fais aussi, récemment avec de nouvelles créations pour le spectacle Svetloba par exemple. Nous utilisons les danses traditionnelles comme une base pour créer de nouvelles compositions qui seront intéressantes pour les oreilles et les yeux.
Il faut rester fidèle aux bases traditionnelles et ajouter un peu de modernité.
Un des aspects de la tradition est qu’elle passe de génération en génération. Si l’on veut que nos traditions restent vivantes et se transmettent, nous devons les conserver et y ajouter des variations plus modernes. Les deux grands groupes de la capitale créent chaque année de nouveaux spectacles. Leurs représentations connaissent de grands succès. France Marolt organise deux concerts par an et remplit la plus grande salle de concert de Cankarjev dom sans aucune difficulté. C’est la même chose pour le groupe Tine Rožanc. Si un de ces spectacles a lieu pendant vos vacances en Slovénie, je vous recommande vivement d’y aller. Reservez vos places avant car ce sera complet !
3 vidéos pour comprendre la diversité des danses slovènes
Danse de la région de Bela Krajna
Danse de la région de Prekmurje
Danse de Rezija
Deux beaux spectacles à regarder chez vous
Le concert AFS FRANCE MAROLT de 2015
- A) http://4d.rtvslo.si/arhiv/koncerti/174367635
- B) http://4d.rtvslo.si/arhiv/koncerti/174367639
- C) http://4d.rtvslo.si/arhiv/koncerti/174365884
Le concert FS TINE ROŽANC CONCERT de 2014
Une page Facebook à suivre pour découvrir la diversité des costumes slovènes
Source photos :
- Page Facebook de AFS France Marolt: https://www.facebook.com/afsfrancemarolt/?fref=ts
- Page Facebook de FS Tine Rožanc: https://www.facebook.com/FSTineRozanc/?fref=ts
- Page Facebook de AFS Student : https://www.facebook.com/afsstudent/?fref=ts
Bonjour,
Où peut on avoir la chance de voir des danses pendant notre séjour en Slovénie?
Merci d’avance
Lisa
Bonjour Lisa,
Il y a des spectacles gratuits parfois dans Ljubljana. Il faut suivre l’actualité des groupes comme France Marolt et Tine Rozanc. Demandez à l’office du tourisme s’il y a quelque chose de prévu. Ils risquent de vous proposer un dîner avec danse Folkloriqueà Sestica mais ce n’est pas trop ce que vous cherchez à priori.
Bon séjour
Florent
Et pendant ce temps là en France on a la Tecktonik ahah
ah mince le lien que je voulais mettre n’a pas marché. du coup mon premier commentaire tombe a l’eau…
Super article, je pense que en France nous avons les troubadours que l’on merite (cf le premier selfie)….